L’abbé Jacques Theisen

Né d’un père bourrelier et d’une mère au foyer, le 23 octobre 1930, Jacques Theisen vit son enfance en plein coeur de Namur, rue de Bruxelles, où ses parents tiennent un commerce de cuir.
Il fréquente l’école Saint Aubin qui se trouve en face du magasin. Son papa devient commandant du Corps des Pompiers de Namur.

Sa maman élève les 5 enfants (une fille et quatre fils). Elle fait preuve d’une immense dévotion à la Vierge Marie en se rendant quotidiennement à la Chapelle de Notre Dame du Rempart qui se trouve à quelques centaines de mètres.

Jacques entre au Séminaire de Namur et il est ordonné prêtre, peu après son frère Joseph, en juillet 1955. L’Evêché le désigne comme vicaire à la paroisse de la Sarthe à Auvelais où il laisse un excellent souvenir à toute une génération d’après-guerre. C’est parmi sa conviction qu’il peut et doit transmettre le message de l’Evangile, dans les gestes quotidiens mais aussi à travers le message de moments intenses de célébration, de convivialité, d’entraide mutuelle.

En septembre 1966, il est intégré comme desservant à la Paroisse Saint-Maurice à Sclayn. Très vite il séduit les habitants du village, allant à la rencontre de tous, pratiquants ou non, jeunes et moins jeunes. Dès la première messe un dimanche à 7H30 des fidèles sortent de l’église avec le sentiment que ce nouveau et jeune prêtre va marquer son passage. « Ce sera un bon ! »           La paroisse était en effet privée depuis plusieurs mois de son curé devenu trop âgé et souffrant. Jacques n’a pas son pareil pour relancer une dynamique dans la communauté sclaynoise. Pourtant, il sait déjà qu’à sa demande expresse, son départ vers le Brésil en qualité de prêtre « fidei donum » ne tardera plus.

Malgré cela, il prend toute une série d’initiatives qui vont rassembler la majorité des sclaynois. Il n’a pas son pareil pour rentrer en contact avec les différentes cultures et générations. Sclayn est en effet un pays de carrières et compte de nombreux immigrés d’après-guerre venus extraire la pierre.
Deux quartiers, un à chaque bout du village, sont peuplés d’italiens, espagnols, portugais, allemands, yougoslaves…. La cité Tonglet à Marche en Pré et la Villette côté Andenne. Un brassage interculturel qu’il mobilise autour de la vie de la paroisse.

Il serait trop long d’énumérer la longue liste de ses réalisations:

  • Formation d’une équipe liturgique qui collabore à la préparation des célébrations.
  • Catéchèse chaque matin après la messe en préparation de la profession de foi: retraite des communiants durant les 3 journées en partenariat avec deux paroisses avoisinantes.
  • Relance d’un Patro pour garçons alors que le Patro des filles vivait depuis une quinzaine d’année; projections de films adaptés pour chaque tranche d’âge, journées de rencontre avec les Patros de la paroisse de la Sarthe.
  • Création d’un club des 13/15 ans qui permettent aux adolescents de se retrouver pour diverses activités au village et en extérieur.
    Intégration des jeunes communiants à la Ligue Saint Vincent de Paul.
  • Soutien au mouvement « Vie Féminine »
  • Mise en place d’une fancy-fair du Printemps dans les locaux paroissiaux et scolaires des Soeurs avec animations diverses pour tous les âges durant 3 jours: théâtre, musique, attractions foraines, disques demandés », sports,… Chacun pouvait se restaurer à l’italienne, à l’espagnole, à la française, chaque nationalité ayant coeur de faire découvrir ses spécialités gastronomiques.
  • Rafraichissement de l’église, en piteux état il faut bien le dire, en recrutant des paroissiens à qui il confie, des échelles, de la peinture, des pinceaux, et profite de quelques heures en soirée ou le samedi pour embellir ce lieu de culte où les fidèles se font de plus en plus nombreux.
    En plus de tout cela, il ouvre son presbytère pour y accueillir la jeunesse: tourne-disque, football de table, boissons rafraichissantes . Une manière d’inciter les jeunes à se rencontrer , à faire la connaissance , à gérer un local mis à leur disposition et quand cela dérape, fermeture durant quelques jours pour remettre les pendules à l’heure .

Le temps passe, la paroisse se passionne autour de toutes ses initiatives mais en août 1967 est organisée une messe d’au revoir en présence d’une foule nombreuse et de plusieurs de ses confrères ordonnés la même année.

Pour saluer son départ et le remercier de toute son oeuvre en si peu de temps, les paroissiens organisent une cérémonie en présence des autorités religieuses et communales ainsi que son père, sa soeur et son frère Louis. Un moment plein d’émotion que nous n’oublierons jamais. ( Photos en cliquant sur ce lien)
Début septembre, Jacques quitte Sclayn pour le Collège d’Amérique Latine à Leuven où il prépare son départ vers Natal en mars 1968.

A chacun de ses retours en Belgique, tous les 3 ans, les paroissiens se mobilisent pour organiser un rallye pédestre, une célébration, des animations dont les bénéfices financiers seront versés aux oeuvres de celui qui est devenu le Padre Tiago.

En 1979, un groupe de 20 personnes s’envole vers le Brésil pour retrouver Tiago et découvrir les jardins d’enfants, les églises, les dispensaires, les mouvements de jeunesse, les distributions de vivres, les clubs de mères, la catéchèse, etc..
Nul n’en revient indemne, marqué pour l’immense générosité, inventivité, détermination du Padre .

En moins d’un an à Sclayn, Padre Tiago a suscité la foi et l’engagement chrétien de nombreuses personnes. Chacun, croyant ou non, pratiquant ou non, s’accorde à reconnaître l’immensité et l’authenticité de son message d’Evangile: « Aimez vous les uns les autres comme je vous aime »
Heureux et heureuses sommes nous d’avoir vécu cette immense chance de croiser son chemin. Plus de 50 ans après son départ, les paroissiens encore en vie le remercient de tout cela.

Le père Tiago est décédé le 9 octobre 2021 à  l’âge de 90 ans
Qu’il vive en paix dans le sérénité éternelle.

Un hommage lui a été rendu ce samedi 16/10/21 à Igapo (Brésil) et le  dimanche 31/10/21 à Sclayn (Belgique). (Photos ici ) ( Video ici ).

Ecouter ici le discours prononcé par le Docteur Christian Cabut à l’occasion de son décès .

Moderne, l’abbé Theisen avait sa page Facebook, et son compte instagram  et était présent sur youtube .

Ce texte a été rédigé par Jean-Pol Dock .

 

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Une excursion forcée ( journal de bord des religieuses fuyant Sclayn, en 1940)

11 MAI 1940 :

Nous voici à la veille de la Pentecôte. Depuis hier, vendredi, l’envahisseur a franchi nos frontières belges. L’inquiétude s’empare de tous les coeurs. Nos pauvres soldats se trouvent subitement devant la triste réalité: c’est la guerre!…La guerre, longtemps on crut pouvoir l’éviter, mais hélas. Le désarroi est général. Cependant, nous nous soumettons aveuglément aux desseins impénétrables de la Providence Divine, car notre petite intelligence humaine, si bornée et si pauvre n’en comprend pas les secrets. Et fortes de cette pensée: “Tout ce qui arrive, bien ou mal, est prévu par Dieu et tourne au bien de ceux qui aiment Dieu”, nous attendons les événements.

Au cours de la journée, nous apprenons que beaucoup de personnes évacuent. Notre petite communauté n’a aucun désir de quitter son doux nid sclaynois…Les Allemands font cependant de rapides progrès, et de nombreuses alertes aériennes occasionnent de sérieuses craintes. Nos bonnes soeurs s’excitent mutuellement à la confiance en Dieu, et la soirée s’écoule assez calmement.

Vers 9h35 du soir, de notre cellule, nous percevons des coups de feu répétés; ne sachant ce que cela signifie, chacune attend en silence. Tout à coup, un formidable coup de sonnette nous fait sursauter…C’est une bonne demoiselle qui vient nous avertir que l’on fera sauter le pont sur la Meuse. Vite, nous nous habillons de nouveau et descendons au souterrain…A peine y sommes-nous, qu’une forte détonation nous apprend que la catastrophe a eu lieu…Le cliquetis prolongé du brisement des vitres, qui suit instantanément le coup, nous prépare à la vue lamentable de l’état désastreux de notre bâtiment: en effet, presque toutes les vitres sont brisées et les portes cassées…Mais la peine que cause ce spectacle fait bientôt place au profond sentiment de reconnaissance à l’égard de Dieu qui a daigné envoyer son “ange” pour nous épargner la vie, car il est certain que, sans le refuge de la cave, nous courions un grand danger.

Evidemment, le fait inattendu de ce samedi soir a jeté la panique dans notre petit village jusqu’alors si paisible.

12 MAI : fête de la Pentecôte

A 2h30 du matin, un nouveau coup de sonnette nous réveille: c’est notre brave jardinier qui vient en toute hâte reprendre quelques objets laissés ici, et nous annonce son départ de Sclayn, ajoutant que la plupart des habitants sont déjà partis. Cette nouvelle nous émeut toutes au plus fort…Que faire?..Va-t-il falloir partir aussi?…Notre chère soeur infirme (Sr. Lutgarde °1889) et notre bonne vieille soeur Marie (°1862) sont incapables de marcher…Mon Dieu, que faire?…et où aller?…l’embarras de notre Révérende Mère n’est que trop compréhensible. C’est en de telles impasses qu’il faut se confier éperdument à Notre Père des Cieux et à celle qui est notre Mère, dans la ferme attente d’un secours efficace autant que providentiel.

Après avoir donné ordre aux soeurs de préparer quelques paquets, Ma Mère se rend chez Monsieur le curé et lui expose la situation. En Pasteur dévoué et prudent, Monsieur le curé engage à partir au plus tôt, car, selon toute évidence, la rive droite de la Meuse devient champ de bataille.

Lui-même se rend aussitôt à l’église et à la chapelle, dans le but de mettre les Saintes Espèces en sécurité, disant qu’il ne pourra célébrer la messe ce jour-là et nous exhortant à nous contenter d’une communion spirituelle. Quelle fête de Pentecôte!…Pas de Sainte Messe, Pas de Sainte Communion. Et ce n’est que le prélude d’une longue suite de “Fiat” que le bon Maître allait nous demander.

Maintenant, où trouver un moyen de transport pour nos deux soeurs?…Pendant une heure, nous arpentons les rues du village en quête d’une auto ou d’une voiture, mais en vain…Les Allemands, dit-on, sont déjà sur la route de Huy. Nous sentons l’inquiétude grandir en nous…Il faut absolument partir! “Saint Joseph, Avocat des causes désespérées, de grâce, venez à notre secours”. Cette fois la réponse ne se fait pas attendre: le bon Saint nous conduit chez un menuisier. La dame, après avoir entendu nos projets, nous cède une charrette à bras: c’est pauvre, mais c’est précieux pour le moment présent…Nos 2 soeurs y prennent place, tant bien que mal, et l’exode commence. Il est environ 5 h. du matin..

Passons sous silence la peine qui nous étreint le coeur, en nous arrachant aussi brusquement à ce cher couvent, à cette bonne paroisse, à ces petites élèves dont quelques unes accourent pour nous adresser encore un poignant adieu.

Ce devait être un spectacle digne de pitié que cette petite caravane de 13 religieuses, chargées de paquets et poussant la charrette…l’air triste, mais résigné…quittant leur chère solitude pour échapper à la tyrannie de l’ennemi, et prenant place dans le misérable cortège des évacués…

Venons-en à l’itinéraire: prenant la direction de Namur, longeant le cours de la Meuse, nous passons d’abord à Samson, où les soldats Belges nous offrent quelques boissons réconfortantes. Puis, c’est Marche-les-Dames que l’on aperçoit de l’autre côté du fleuve, ensuite Lisves, où nous avons l’espoir de traverser La Meuse afin de passer au plus tôt sur la rive gauche, mais en vain. Aux environs de Lisves, Mr. Désiré Féraille et ses 3 soeurs nous rejoignent. Mr. Féraille offre de conduire la charrette, ce que nous acceptons avec reconnaissance. Nous arrivons enfin à Jambes, faubourg de Namur. Un soldat Belge nous dit d’accélérer le pas, car, on fera sauter le pont de Jambes. Ayant franchi le pont, une alerte aérienne nous oblige à chercher un abri dans les maisons ou dans les caves, et nous voilà séparées…La charrette, accompagnée de 4 soeurs, avait une avance d’une centaine de mètres sur le second groupe, mais nous espérions nous retrouver aussitôt après l’alerte. Le lieu du rendez-vous devait être la gare de Namur, car nous avions décidé d’y prendre le train et de nous diriger vers la Flandre.

Entre 2 alertes, Mr. Féraille se rend à la gare, croyant y trouver le second groupe des soeurs. En chemin, il rencontre Mr. Damoiseau de Sclayn, qui dit que Mère Godelieve l’envoie à la recherche des autres soeurs, afin de leur dire de se rendre au Couvent des Dames de Ste Julienne, le départ des trains étant suspendu. Quelques instants plus tard, nous étions contentes de nous trouver à nouveau toutes réunies…

En remerciant ces Messieurs de leur charitable obligeance, nous ne pouvions qu’admirer encore le doigt de Dieu dans cette rencontre providentielle des 2 hommes. Mr. Damoiseau nous avouait son souci: comment retrouver ces soeurs qui sont dans un abri quelconque, quelque part à Namur?…

A Sainte Julienne, la supérieure nous engage à y passer la nuit. D’ailleurs, les bombardements aériens se poursuivent incessamment. Nous sommes obligées de passer la nuit à la cave, sans fermer l’oeil, malgré la fatigue de la marche et le sommeil qui nous accable. Pour tout repos, nous n’avons que la prière, prière suppliante et confiante des âmes qui espèrent en Dieu et implorent sa protection.

Les avions ennemis bombardent la ville de Namur d’une façon terrible. A un certain moment, nous nous préparons sérieusement à la mort car elle semble rôder autour de nous. De temps en temps, l’une ou l’autre nouvelle nous parvient de l’extérieur, toujours pénible et angoissante: telle maison brûle, telles personnes sont tuées, tel bâtiment est complètement détruit, etc…

Vers 11h. de la nuit, on sonne à la grande porte d’entrée: c’est une famille du voisinage qui vient demander abri, leur maison s’est effondrée et ils ont eu juste le temps de s’échapper par le soupirail de la cave…Il est impossible de décrire l’impression que fait sur nous la vue de ce Monsieur, de cette dame, de cette jeune fille. De riches qu’ils étaient quelques instants auparavant, les voilà tout à coup pauvres et dénués de tout…Pour toute propriété, ils possèdent encore les habits qu’ils portent sur eux. Mon Dieu, quelle leçon de détachement…

Au milieu de la nuit, la révérende Mère Supérieure se rend à la chapelle chercher le très Saint Sacrement et le place en lieu sûr dans la cave. La présence du Bon Jésus parmi nous réconforte tous les coeurs et augmente la confiance.

Et voilà ce qu’à été pour nous la belle fête de la Pentecôte en cette anée 1940. Si les tristes réalités que nous avons vécues ont empêché la méditation du mystère du jour, elles ont fait monter en nos coeurs une ardente prière au Divin Sanctificateur des âmes, afin que le St. Esprit nous envoie en abondance son don de Force. Et ce don de Force nous fut accordé, certes, car sans ce secours surnaturel, aucune de nous n’aurait supporté aussi courageusement tout ce qu’il a fallu supporter durant cette quinzaine d’exil.

13 MAI: Lundi de la Pentecôte

Dès le petit matin, notre chère Mère Godelieve se propose de partir. Mr. Feraille (celui-ci, ainsi que ses 3 soeurs, restera avec nous durant tout le trajet) sort de la ville et s’informe de la possibilité d’un départ en chemin de fer. On lui apprend qu’il n’y a plus de trains, que les voies ferrées sont endommagées, qu’il faut partir à pied…Quelle perspective. On propose, on prie, on attend. N.D. du bon Conseil est invoquée avec instance.

Pendant la discussion, une religieuse nous annonce l’arrivée d’un Père Jésuite qui vient célébrer la Ste Messe. Quel bonheur! Cependant, on nous avait dit que, ce jour-là, nous n’aurions ni messe, ni communion et plusieurs Soeurs avaient pris quelque nourriture ou boisson, ce qu’elles regrettaient vivement à présent. Mais voici que, le Révérend Père, en vue de consommer les Saintes Espèces, en ce moment d’ultime danger, permet la Ste Communion à défaut même du jeûne eucharistique. Profitant de cette heureuse permission, nous nous approchons toutes de la Ste Table, et ainsi réconfortés ne se sent-on pas prêt à affronter tous les dangers?

Aussitôt après la Messe, nous nous apprêtons pour le départ. Mais au moment de quitter le Couvent hospitalier où nous venons de passer la nuit, quelle n’est pas notre déception devant l’impossibilité de nous remettre en possession de notre charrette…La porte du garage est fermée et personne ne répond à nos coups de sonnette réitérés. On dit que les habitants ont quitté la nuit. Que faire maintenant? Notre pauvre soeur Lutgarde prend alors place sur une brouette, et Soeur Marie s’avance lentement au bras d’une soeur. Inutile de dire qu’une journée de marche, voire même une heure, ne pouvait se faire en de telles conditions. Personne ne comprendra jamais l’angoisse qui nous oppressa en ce moment…Des informations sont prises en vue d’obtenir une auto ou une voiture, tout est vain. Avec quel accent de filial espoir répétons-nous: “Coeur sacré de Jésus, j’ai confiace en Vous”. Le tableau que forme ce groupe de Religieuses arrêtées devant une brouette, chargée d’une Soeur, attire bientôt l’attention d’un agent de police, qui, informé par notre charitable guide, de la situation lamentable dans laquelle nous nous trouvons, conseille de demander un asile à la Maison St. Jacques…Faut-il donc se résigner à abandonner nos deux

Soeurs?…Oui, il le faut, puisque telle semble être la volonté du Bon Dieu: “Fiat”. Sr Marie et Sr Lutgarde resteront donc à Namur. Ma Mère y adjoint Sr Marie-Jeanne (°1911) qui donnera les soins aux chères soeurs. Toutes les trois sont reçues aimablement par Mlle la Directrice. Cette bonne demoiselle nous dit qu’en cas d’évacuation obligatoire, elle veillerait sur nos Soeurs. La séparation est pénible, d’autant plus que l’on se demande si nous nous reverrons encore en cette vie…Mais chacun fait son sacrifice de grand coeur, laissant à la Providence la responsabilité de sa mystérieuse conduite à notre égard.

Et la petite caravane se remet en route: nous ne sommes plus que 10…(Mère Godelieve-°1870, Sr Augustine-°1898, Sr Bernadette-°1909, Sr Borromée-°1906 , Sr. Brigitte- °1886, Sr Clarisse-°1891, Sr Gabrielle-°1897, Sr Marie-Alphonse-°1907, Sr Marie-Marguerite-°1912 et Sr.Paula- °1902). Nous marchons sans aucun but, nous abondannant à Celui qui seul sait où Il nous mène.

A peine avons-nous fait 300m. que, fait étrange, des soldats Belges nous offrent…quoi?…une charrette, pour y charger nos paquets. Quelle coïncidence: une charrette, à peu près identique à celle que nous regrettions tant, semble ici tomber du ciel…en ce moment où nos soeurs sont en sécurité à St. Jacques. N’est-ce pas une délicate attention de la part du Bon Dieu? Ne prouve-t-il pas qu’Il désire que nos Soeurs restent à Namur?…sinon cette charrette, le Tout-Puissant pouvait nous la procurer une demi-heure plus tôt; et alors nous aurions emmené nos chères Soeurs…Les pauvres. Qu’auraient-elles fait en ces circonstances douloureuses que nous avons traversées dans la suite?…Oui, O Père très bon, Vous avez veillé sur nous avec une tendresse inexplicable. Pour cette preuve de votre amour et de votre paternelle prévoyance, soyez éternellement loué…

Donc, nous acceptons la charrette, y chargeons les nombreux paquets, laissons la brouette, et, prenons la direction de Salzinnes. Sur le passage, plusieurs maisons sont détruites, des magasins pillés et vides. Nombreuses sont les personnes qui évacuent, nous formons bientôt une longue file dont on ne voit ni le commencement, ni la fin. De temps en temps une alerte aérienne nous fait gagner le fossé, et cette halte repose un peu nos membres fatigués. A notre gauche, des troupes de soldats marchent continuellement. On dit que la présence de l’armée est dangereuse, alors, abandonnant la grand’route, nous nous dirigeons sur Malonne. Ici repos d’un quart d’heure pour déjeûner et dîner: il est 10 heures, nous apprenons alors qu’à quelques centaines de mètres de là, à l’endroit où nous venons de passer il y a à peine 10 minutes, 3 soldats viennent d’être tués par une bombe.

Avant de continuer notre route, nous sommes heureuses de nous agenouiller devant la tombe du Frère Mutien-Marie, et le chargeons aimablement de la réussite de notre pénible entreprise. –Vous vous êtes bien acquitté de votre tâche, bon Frère Mutien, c’est pourquoi nous vous remercions.

Après une marche d’une demi-heure, nous nous arrêtons chez Mr.et Mme. Malherbe, qui ont la bonté de nous offrir une tasse de bon lait, ce qui nous fait grand plaisir.

Ensuite nous continuons notre “Pélerinage” en passant par Buzet et Sart-Saint-Laurent. Par endroits le chemin est difficile, la montée est rude et la charrette dure à pousser.

Enfin la grand’route nous amène à Fosses. Il semble que la fatigue est à son maximum, car nous avons fait ce jour-là 20 km…La Révérende Mère et Mr Féraille se rendent chez Mr. Le doyen pour s’informer d’un logement convenable. C’est tout trouvé, les Soeurs et les Demoiselles logeront au pensionnat des Soeurs de Ste Marie et Mr. Le Doyen qui connaît personnellement Mr. Féraille prend celui-ci chez lui. L’accueil est des plus chaleureux. Après nous avoir servi le goûter, les bonnes Soeurs arrangent des chambrettes et préparent des lits, pendant que nous nous reposons au pied du Très Saint Sacrement. Avant le souper, une religeuse nous invite à prendre un bain de pieds, dont elle a fait tous les préparatifs, elle s’offre aussi à soigner les pieds blessés par la longue marche. Que c’est bon de renconrer ainsi la vraie charité fraternelle, qui vous donne la douce certitude d’être tous enfants d’un même Père…

14 MAI : mardi

La nuit a été très calme et nous voilà bien reposées. Nous avons le bonheur d’assister ce matin-là à 2 messes consécutives et de communier. (Nous ne nous doutions pas que depuis le 14 mai jusqu’au 20, nous serions privées de Messes et de Communion : c’est pourtant ce qui arriva)

Le déjeuner fini, nous remercions avec effusion nos chères Bienfaitrices ainsi que Mr. Le Doyen. Celui-ci nous donne sa bénédiction et nous confie à la garde du Bon Dieu. Puis, sur un ton de…prophétie, il dit en riant: Ah, mes soeurs, vous n’aurez jamais tant voyagé que maintenant”.

Il est 8 h.lorsque nous quittons Fosses. En voyant notre équipage, un officier Français nous interpelle: “ Mais pourquoi partez-vous?..Où allez-vous?…Vous courrez ainsi jusqu’à Paris et ce sera toujours la même chose”. (Comme il disait vrai!…Si nous avions cru!…). Nous suivons une belle route accidentée par de multiples montées et descentes, et malgré les soucis de l’heure présente, nous admirons la campagne ensoleillée, s’étendant à droite et à gauche, dans toute sa splendeur printanière.

Il fait calme dans les airs jusqu’au moment où nous approchons des campements français. Ceux-ci, repérés par l’ennemi, sont le point de mire des bombardiers. Longtemps, nous nous cachons dans le bois pendant que les bombes éclatent à quelque distance de nous. C’est le moment de faire notre seconde préparation à la mort…Avons-nous prié dans ce bois!…

Nous poursuivons enfin notre chemin et arrivons à Mettet. La Providence nous procure un dîner dans une boulangerie. Ici encore des alertes. Vite dans la cave…Elle est aussitôt bondée…Nous tâchons d’y faire un peu d’apostolat en communiquant à ces gens apeurés la confiance en la prière. En quittant l’abri, nous assistons à un spectacle effrayant: la retraite de l’armé française venue aux secours de Belges…Cela ne présage rien de bon…N’écoutant pas la fatigue, nous accélérons la marche. Bientôt on peut constater le triste résultat du bombardement: des cadavres de chevaux gisent là sur la route, des objets délaissés, des voitures renversées font croire que des civils ont été tués…A cette vue nous nous confions davantage encore à la Divine Providence, et nous récitons le chapelet à haute voix. Plusieurs personnes se joignent à cette prière commune. A Oret, une brave femme se met à genoux sur notre passage, sans doute croyait-elle se trouver devant quelque groupe de procession…

A tous les coins de rue, des flèches indiquent la route à suivre, ce qui nous fait faire de sérieux détours. Passant par Biesme, nous nous décidons à loger à Framiée, petit village de quelques centaines d’habitants. La difficulté de trouver du logement cède à la prière confiante. Un fermier nous présente une de ses fermes inhabitée pour le moment. Là, ni chaises, ni lits, un domestique nous apporte quelques brassées de paille, dont nous garnissons trois chambres, et “Bonne nuit”… N’est-ce pas une ressemblance de plus avec Jésus?…lui aussi a couché sur la paille.

15 MAI : mercredi

Dès 5 heures nous voilà en route vers Gerpinnes, encore escortées par les troupes françaises qui, dit-on, battent en retraite. Les avions ennemis planent constamment au dessus de nos têtes. Gerpinnes présente un aspect désastreux. Un soldat nous indique la route à suivre afin d’éviter les troupes.

Au loin devant nous, l’horizon est noir de fumée sur une large étendue; et il semble que nous prenons la direction de cette mer de feu…mais…confiance, confiance toujours…Le Bon Dieu est notre Conducteur…

Tarcienne et Somzée s’échelonnent successivement sur le parcours. Il est environ 11h. lorsque nous arrivons à Petit-Chartret. La faim commence à faire valoir ses droits, une maison inoccupée est toute désignée pour y prendre le repas. Par bonheur les vivres ne font pas encore défaut; mais quelle n’est pas notre surprise en trouvant sur la table de la cuisine un grand plats d’oeufs frais, qui semblent nous attendre…Les habitants doivent avoir quitté depuis peu, car le feu n’est même pas encore éteint. En remerciant la Providence de cette bonne aubaine, nous dégustons bien joyeusement ce repas improvisé, pendant qu’une soeur prend scrupuleusement l’adresse du propriétaire…pour le cas où…il réclamerait les oeufs!

Après le dîner, nous essayons de poursuivre le chemin, mais, impossible, les troupes occupent toute la route. Alors, prenant encore des droits de propriétaires, nous nous reposons jusque 4h. de l’après-midi, quoique le bruit étourdissant des autos et des tanks défilant sur la route, d’une part et le ronflement des aéroplanes, d’autre part, nous empêchent de dormir.

Il faut partir cependant car le danger approche. Malgré la difficulté, nous marchons…observant avec stupéfaction cette interminable file de tanks français qui prennent la même direction que nous. Toutes nos illusions tombent devant la décevante réalité: les Alliés sont refoulés. Quelle débandade…Et là-haut dans le ciel nuageux, le redoutable ennemi rôde toujours, s’intéressant méchamment à la fuite des troupes…

Les localités que nous traversons sont désertes. Thy-le-Château et Pry sont bombardés en partie. Les évacués ne sont plus nombreux, et nous avons l’impression que notre groupe est un des derniers. Une certaine inquiétude s’empare de nous, et nous redoublons de prière et de confiance.

Bientôt la chaleur nous accable tellement, et la soif occasionnée par la poussière de la route devient si intense, que…nous n’en pouvons plus. Pourtant, nous n’avons parcouru ce jour-là que 16 km.

Nous atteignons Rognée à 9h. du soir. Pendant que Ma Mère est à la recherche d’un logement, nous attendions au bord du chemin regardant passer les soldats. Tout à coup un soldat-cycliste tombe de son vélo. Nous accourons lui porter secours. C’est un Algérien, tout jeune encore; il est noir de poussière et harassé de fatigue. Une Soeur lui présente de l’eau et demande s’il n’a pas faim. “Non” dit-il, “pourtant il y a 4 jours que je n’ai pas mangé et que je n’ai pas dormi”. Pauvre petit soldat…Et le regardant s’éloigner, nous songeons à tant d’autres, à nos frères peut-être qui sont dans le même cas que ce malheureux…et on est triste de ne pouvoir les soulager…

L’enquête d’un logement a été fructueuse: une ferme ouverte à tout venant sera notre asile pour la nuit. Nous commençons à nous y installer…lorsque le propriétaire rentre. Quel tableau: des mines ébahies de part et d’autre…Mais l’explication est simple et le fermier dit qu’il nous préparera une place pour dormir. Cette place n’est autre qu’une… écurie…Enfin, nous nous consolons en pensant que Marie et Joseph n’avaient pas d’autre place non plus. Toute la nuit se passe à écouter les avions.

16 MAI : jeudi

De cette longue nuit passée dans l’anxiété, l’insomnie et la prière, nous voyons arriver la fin avec un grand soulagement. Dès 4h30, nous quittons notre lit de paille et partons pour la France. Quelle journée que celle-ci…Jamais nous ne l’oublierons…

Tout en récitant la prière du matin, nous prenons la direction de Mertenne. Les soldats Français sont encore à nos côtés. Ils ont l’air fatigué et sont abattus, vraiment, ils font pitié à voir…Quelques groupes seulement de réfugiés précèdent ou suivent la charrette. Le moment semble angoissant, car tous, soldats et civils, marchent en grand silence, d’un pas rapide. La chaleur nous accable déjà et nous sentons tout le poids d’une nuit sans repos, d’un départ sans déjeuner…

A un croisement de route, tout en nous arrêtant pour une alerte, Mr. Féraille demande le chemin à un officier Français. Celui-ci indique la route, mais conseille de prendre un petit chemin à gauche afin d’éviter un détour. Après réflexion, et inspiré sans doute par son Ange Gardien, Mr. Féraille ne prend pas le chemin conseillé, et nous continuons droit devant nous. Quelle n’est pas notre surprise, lorsque 1 km plus loin, nous apprenons que les personnes qui se trouvaient immédiatement devant notre charrette ont été mitraillées…(Nous avons vu en effet, des avions qui volaient très, très bas et entendu nettement le bruit caractéristique de le mitraille.) Comment remercier le Bon Dieu et nos Bons Anges de nous avoir si visiblement protégés…

Continuons donc dans la direction Nord-Ouest, nous arrivons à Strée. Les habitants ne sont pas tous partis et notre chère Mère trouve à s’y procurer du pain, mais en petite quantité…Nous avons supplié ardemment: “Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien”. “Merci, mon Dieu, en voilà pour aujourd’hui. Demain, notre Père nous exaucera encore…”

Afin d’éviter la grand’route, nous prenons un chemin de campagne qui conduit à Beaumont. Ici quel affreux spectacle, dont la plume refuse la description… A quelques exceptions près, toutes les maisons sont bombardées ou totalement détruites. Des cadavres terrassés depuis peu, gisent encore là baignés dans leur sang, à tel point qu’à certains endroits, nous sommes obligés d’abandonner le trottoir pour ne pas marcher sur les corps…Tous les magasins et les cafés sont pillés, une odeur désagréable semble planer sur toute la ville…et, au milieu de tant de misère, les soldats français circulent, préparant une attaque à l’ennemi qui nous suit à distance. Des 2 côtés de la route, les canons sont postés et les caisses de munition sont ouvertes et attendent.

A Leugnies, une grange sert de restaurant…Un pain, un pot de confiture, une boîte de sardines et une bouteille d’eau: voilà notre dîner. La joie règne malgré tout et remplace l’assaisonnement.

Vers 11h. nous marchons allègrement vers la France. Souvent les alertes aériennes interrompent notre marche. Enfin, de loin on aperçoit le poteau indicateur: voici la frontière, ô bonheur, nous sommes sauvés…hélas non. Le garde-frontière nous donne une fameuse déception en disant: “On ne passe pas. Prenez le chemin à gauche et gagnez la France par les bois”. Comment décrire notre désillusion…Des centaines de personnes sont dans le même cas que nous, plongées elles aussi dans le plus profond accablement. Que faire? “Commençons par prier et mettons toute notre confiance dans le Sacré-Coeur”. Alors, prenant notre courage à deux mains, nous suivons la route indiquée. Mais quel chemin, battu par nos devanciers; il y avait des sillons de 20 à 25 cm de profondeur dans lesquels les roues de la charrette s’enfonçaient continuellement…On avance, mais à pas de tortue. Heureusement que Mr. Féraille est là pour nous tirer de l’embarras…A un moment donné, avancer devient impossible. Alors, nous déchargeons les paquets, poussons la charrette jusqu’où la route devient plus praticable…puis rechargeons le tout. Après bien des efforts encore, nous atteignons enfin la grand’route: Deo Gratias…

Ensuite, c’est une marche effrénée vers la frontière.

Un officier français passant en moto nous crie: “Dépêchez-vous, on va barrer la route.” Nous courons presque…Comment en ce moment ne sommes-nous pas tombées de fatigue pendant cette course? Dieu le sait…Une force surnaturelle nous soutenait…

La commune Grandrieu passée, nous franchissons la frontière française à 11h30 exactement. Un soupir de soulagement échappe de toutes les poitrines, nous nous croyons sauvés…Cependant ici encore nos illusions seront vaines.

On nous dit qu’à Avesnes les trains fonctionnent. “Allons, un nouvel effort et en route pour Avesnes”. Ah, si nous pouvions avoir un train ce soir…Demain, nous serions loin et hors de danger…mais l’homme propose et Dieu dispose.

A Hestrud, une forte alerte occasionne un nouveau retard, de même qu’à Solre-le-Château. La belle église de cette localité ainsi qu’un grand nombre de maisons présentent des dégâts considérables. La ville était peuplée de soldats, aussi ce sont des alertes continuelles, les avions ne quittant pas les lieux…Les balles éclatent de toutes parts, si bien qu’un débris de bombe vient tomber aux pieds d’une Soeur abritée avec d’’autres encore dans l’atelier d’un menuisier…En dépit des avions, nous continuons, mais à Sart-Poteries, on nous ordonne de rentrer dans une maison occupée par des soldats français. Un de ceux-ci veut nous engager à y passer la nuit, car il est 6h. du soir. Toutefois nous jugeons plus prudent de fuir l’armée…A peine avons-nous fait 100m. que le sifflement d’une bombe nous jette à terre…Boum…la bombe éclate tout près de nous…Jugez de l’émotion générale…surtout lorsque nous constatons que Mère Godelieve et les demoiselles Férailles se trouvent à 8m. du trou creusé par le projectile, et un autre groupe de Soeurs à 50 ou 60 m. de là…Oui, le Bon Dieu a été notre Protecteur…De combien de dangers ne nous a-t-il pas préservées?

Ce nouveau témoignage de la protection divine donne à notre confiance un précieux élan et nous continuons l’exil dans un parfaite sécurité, espérant d’atteindre bientôt le terme de ce voyage pédestre…(Heureusement que Dieu dans son immense bonté, nous cache l’avenir). Toutes, nous sommes exténuées de fatigue, mais aucune ne se plaint. La prière est notre force et le seul soutien en ce moment, soutien tant physique que moral…

Le groupe des évacués est devenu à Bougnie une foule compacte, sachant à peine avancer, les chariots entravant à tout moment la marche de la file. Des milliers de personnes occupent maintenant la route, sans ordre, sans organisation…Il y a grand danger de se perdre. Combien n’avons-nous pas vu de familles dispersées?…Des mamans cherchant leurs enfants perdus dans la foule…des enfants se trouvaient tout à coup séparés de leurs parents après une alerte. C’était un spectacle inoui de tristesse…

Entretemps, le crépuscule tombe, et nous marchons toujours sur cette interminable route d’Avesnes.

Soudain vers 10h30 du soir, les avions allemands en grand nombre, commencent à bombarder cette masse humaine..Nous nous précipitons dans le fossé, et là, nous assistons à une canonnade infernale dont le souvenir ne s’effacera jamais de notre mémoire. Les bombes se succèdent coup sur coup, en même temps que les mitrailleuses fonctionnent sans arrêt. Des bombes éclairantes tourbillonnent dans l’air comme des boules de feu et propagent un indicible effroi. De tous côtés on crie, on pleure, on hurle de frayeur…de tous côtés aussi on prie, et ce sont des cris d’incomparable détresse, d’ineffable supplication qui montent vers Celui qui, seul, est le Maître de la vie et de la mort.

Quant à notre petite Communauté, nous nous tenons bien blotties les unes contre les autres, nous préparant ensemble à mourir, faisant avec amour et résignation le sacrifice de notre vie…puis…nous attendons avec calme notre..balle…Mais le bon Saint Pierre n’a pas daigné nous ouvrir cette nuit-là les portes de son beau paradis.

Combien de temps sommes-nous restées dans ce fossé?…Ce serait difficile à dire exactement, on sait que les heures d’angoisses semblent toujours durer plus lontemps que les autres. Une demi-heure peut-être…Lorsque le danger s’est écarté et que les autos militaires reprennent leur marche, nous quittons également le lieu sinistre. Mais…qu’apercevons-nous?…non plus des soldats français, mais bien des Allemands…C’est à n’en pas croire ses yeux…O mon Dieu, Vous seul savez ce qui s’est passé dans notre âme à ce moment-là…Alors, prises d’une espèce d’affolement, nous abandonnons tout, n’emportant que le sac contenant les vases sacrés, quelques registres et le budget de la Communauté…Puis, nous prenant par le bras, trois par trois, nous courons vers la gare d’Avesnes..Comment ne nous sommes-nous pas perdues?..en pleine nuit, au milieu d’une foule affolée?…c’est encore ce qui est providentiel. Il est vrai que le clair de lune nous était propice, mais il faut dire aussi, qu’à tout moment les premières interpellaient les dernières: ”Est-ce que tout le monde suit?…Sommes-nous bien dix?…Etes-vous toutes-là…Si bien qu’une brave femme, indignée sans doute, s’écrie: “Enfin, pour des Religieuses, vous pourriez être plus calmes…et donner l’exemple…(Attrape) – Elle avait raison la bonne dame…mais pouvait-elle comprendre notre souci de ne pas nous perdre en pleine nuit, elle qui n’avait qu’à suivre et à veiller sur son unique conjoint…

Nous arrivons enfin à Avesnes: nous voilà au but…Tout à coup un Allemand nous crie en français: Halte, on ne va pas plus loin…Allez dans les caves, demain vous retournerez dans vos maisons…n’est-ce pas un rêve?…Au même instant une femme gémit: “Un peu d’eau s.v.p., il y a quelqu’un qui va mourir” “On ne s’occupe pas de cela” cingle le rude guerrier. “Allez vite dans les caves”.

Bon gré, mal gré, il faut se conformer aux ordres du soldat. Mais où aller? Nous entrons dans une cour et trouvons une cave, celle-ci abrite des soldats français. Comprenant le danger, nous préférons l’écurie…Après une dernière offrande au divin Maître de cette journée si remplie par 40 km de marche et tant d’émotions douloureuses, nous nous laissons, épuisées de fatigue, tomber sur la paille. Toutefois, ce n’est pas pour dormir…les chevaux nous tiennent compagnie, charment notre repos par un vacarme sans nom…puis bientôt le bombardement commence, cette fois ce ne sont pas des avions, mais des canons…Chaque coup de canon fait trembler les murs du bâtiment, les obus passent au-dessus du toit en sifflant, et cela jusqu’au matin…Malgré le danger très grand, nous ne perdons pas confiance: si le Bon Dieu nous a sauvées du massacre sur la route d’Avesnes, c’est sans doute qu’Il veut encore de nous sur la terre…

17 MAI: vendredi

Dès la pointe de l’aube, Mère Godelieve et Mr. Féraille se concertent sur la décision à prendre pendant que nous invoquons avec ferveur N.D. du Bon Conseil. – Allons voir si nous retrouverons encore quelques-uns de nos paquets, et, …retournons à Sclayn, puisqu’il le faut….Retourner à Sclayn! C’est donc bien vrai…est-ce possible…Tout en discutant ce problème énigmatique, nous nous dévisageons curieusement: quelles mines…quelles physionomies…Noires de poussières, les vêtements malpropres à force de traîner dans les fossés, les yeux cernés de fatigue et d’angoisse, nous sommes toutes vieillies de 10 ans…Notre pauvre Mère se sent malade: son visage est défiguré par la fièvre, c’est croyons-nous, la conséquence de la poudre que nous avons avalée gratuitement pendant le bombardement hier soir…

Ne possédant absolument plus rien, le départ se fait à jeûn. En chemin le spectacle qui s’offre à nos yeux est terrible. Ici, une centaine de prisonniers français sont groupés dans un pré, sous la garde d’un Allemand, révolver au poing…Plus loin, des tanks nivellent le terrain afin de livrer un passage…Et, de tous côtés de cette longue route d’Avesnes que nous foulons pour la seconde fois, on ne voit que des cadavres humains, chevaux tués, voitures et chariots renversés, paquets abandonnés, camions délaissés, dont plusieurs sont encore en fusion…quelle tristesse..Pour s’en faire une idée exacte, il faut avoir vu ce tableau.

Nous retrouvons encore quelques-uns de nos paquets, les autres, de même que la charrette sont disparus…Alors ne conservant que l’indispensable, nous chargeons le reste des paquets sur un vélo abandonné et prenons le chemin du retour. Nous marchons au milieu de toutes ces horreurs, muettes de pitié et refoulant nos larmes…mais infiniment reconnaissantes, parce que le Bon Dieu n’a pas permis que nous soyons victimes de cet affreux carnage.

Beaucoup d’évacués retournent, et bientôt, il se reforme une longue file qui encombre la route.

Tout à coup, nous apercevons des visages connus: Mr. Thomas, Mme Dive, belle-soeur de Sr Clarisse, et ses enfants. Un peu plus loin, Mme. Delory et ses enfants. Quelle émotion de se revoir ici…et en quel état…”Où allez-vous ma Révérende Mère?”, “et vous?” – “Nous retournons”. – “Mais qu’allons-nous trouver à Sclayn?”…Enfin, après avoir parlé quelque temps de la nuit sinistre, on propose de part et d’autre de rechercher une maison inoccupée et s’y reposer quelques heures. C’est ce que nous trouvons à Beugnies: une villa sert de refuge aux trois familles représentées par Mr. Féraille, Mr. Thomas et notre Communauté. Après un modeste repas dont les légumes du jardin fournissent la soupe, nous faisons un peu de toilette ( ce qui ne s’est plus fait depuis 3 jours) et l’après-midi s’écoule dans un repos complet, quoique non loin de là, le canon et les avions planent.

A 5h. du soir, nous quittons la villa hospitalière juste au moment où…la propriétaire rentre…Elle essaye de se fâcher, mais finalement, elle comprend…et c’est bien.

Pendant que nous avançons lentement sur la route, le ciel se couvre de gros nuages, à notre gauche des soldats défilent encore, mais ce ne sont plus nos Alliés, et, ils vont en sens contraire…La pluie commence à tomber. Instinctivement, on pense au deuil de la Belgique.

A Solré-le-Château, la pluie nous oblige à rentrer, un soldat nous indique une maison inhabitée, dont nous pouvons occuper 2 places. Nous y passons la nuit: les unes dans un fauteuil ou sur une chaise, les autres sur le plancher. Le calme complet qui y règne contraste singulièrement avec l’agitation des nuits précédentes.

18 MAI : Samedi

Nous quittons Solré-le-Château à 8h. du matin. Déjà, la route est encombrée de réfugiés. Les chariots des évacués à droite, les camions allemands à gauche empêchent les piétons d’avancer. Alors, nous prenons le parti de nous reposer, attendant que le trafic s’éclaircisse, mais l’attente est vaine.

Pendant une de ces haltes forcées, un Révérend Père Passionniste de Natoye est venu nous saluer. Comme il connaissait très bien le frère d’une de nos Soeurs (le Père Tharcicius Lasure, frère de Sr.Marie-Alphonse), une conversation s’engagea qui produit une impression de joyeuse humeur et de gaîté.

Un autre petit fait mérite d’être cité ici, précisément à cause de son originalité…Depuis le matin, nous sommes en quête de nourriture mais nous n’en trouvons pas. Alors une idée jaillit à l’esprit: “Si nous allions traire une vache!” – les pauvres bêtes en effet, abandonnées de tout le monde, couraient sauvagement dans les prairies…Aussitôt dit, aussitôt fait, 2 Soeurs, anciennes fermières (Sr Bernadette et Sr Augustine), se procurent des seaux et s’en vont traire 2 vaches…Après avoir bu à satiété, (charité bien ordonnée commence par soi-même), nous en avons distribué un grand seau aux réfugiés qui passaient. C’était un plaisir de voir le bonheur des mamans qui pouvaient enfin procurer un peu de lait à leurs enfants…

Lorsque nous arrivons à Hastrud, des soldats restaurent la route. On nous défend d’avancer, un officier nous dit de loger dans un bâtiment de l’école, il nous ordonne en outre de nous occuper des enfants des réfugiés qui se trouvent là. Nous nous dévouons donc à ces petits en leur procurant une couchette convenable pour la nuit. Mme. Elory qui est là également, a la bonté de préparer le repas du soir: elle réussit à nous servir une soupe délicieuse suivie d’une portion de bonnes frites. – On peut bien s’appliquer les paroles du Saint Evangile: “Elles ne sèment point, elles ne moissonnent point et cependant leur Père céleste les nourrit.” Notre lit, c’est le plancher. L’expérience apprend que la paille est moins dure que les planches…Avant de nous étendre sur notre lit de bois, nous sommes allées faire un petite inspection des classes, (les éducatrices s’intéressent toujours à ce qui rappelle leur apostolat). Mais que c’est triste de voir qu’il n’y a même pas de crucifix dans les classes…Ah, Seigneur Jésus, comme les hommes vous méconnaissent.

19 MAI : Dimanche

C’est dimanche..le dirait-on bien? Déjà le deuxième dimanche sans messe…Encore et toujours “Fiat”.

Le départ d’Hastrud s’effectue vers 4h30 du matin. Nous marchons d’un bon pas jusque Beaumont. Avant d’entrer en ville, les camions barrant le chemin, nous prenons un peu de repos dans une prairie. Comme il se trouve une ferme aux alentours, nos chères Soeurs s’improvisent encore fermières…Bientôt, nous avons du lait en abondance, et nous pensons à tant de pauvres réfugiés qui seraient si contents d’en avoir. Mais la prairie est éloignée et près de la grand’route…qu’importe, Sr. Brigitte, n’écoutant que son grand coeur, prend un seau de lait et une tasse, et fait autant d’heureux qu’elle a de tasses de lait dans son seau.

Une fois de plus, nous revoyons le triste spectacle que représente la ville de Beaumont. Quelle désolation…

A partir d’ici, l’itinéraire change. Nous prenons la direction de Philippeville. Le pittoresque du paysage rafraîchit un peu les idées. Cependant à notre gauche, des colonnes serrées d’autos allemandes filent d’une rapidité vertigineuse vers la France… et cela sans intervalle, des heures entières…et soudain se présente à l’esprit cette pensée: quel immense apostolat que le retour à Dieu de ce peuple…qui regarde les religieuses un peu comme…des bêtes curieuses. Le Maître n’a-t-il pas dit : “Aimez vos ennemis…faites du bien à ceux qui vous haïssent”?

A Berbençon, un soldat nous interroge sur le motif de notre fuite. Lui répondre n’est pas bien difficile..Il semble avoir pitié de nous et nous offre du pain et des oeufs.

Il est 1h. lorsque nous sommes à Boussu-lez-Walcourt. Le dîner et 3h. de repos se prennent dans la maison d’un agent de Banque, puis munies d’une nouvelle dose de courage nous marchons sur Silencieux qui est en grande partie détruit, l’église surtout est dans un état lamentable. Des ouvriers enlèvent des débris des habitations bombardées. On les voit chargeant les cadavres sur des brouettes…On comprend quelle horreur suscite la vue d’un tel tableau…

Les rudes pentes de la route épuisent les forces. Aussi d’après le conseil de nos 2 guides, nous délaissons la route de Philippeville et arrivons à un petit village situé à gauche: Daussoix. Ici, les habitants n’ont pas quitté. Mr. Le Curé invite la Communauté chez lui où il trouve à nous loger toutes les 10. – La simplicité qui règne dans ce presbytère de campagne, ainsi que la bonté conquérante de ce digne prêtre à cheveux blancs, reportent notre pensée au Curé d’Ars.

20 MAI : lundi

Merci, mon Dieu de la bonne nuit que vous nous avez accordée. Dès le réveil, notre bonheur est la pensée que nous aurons enfin la Ste Messe…5 jours sans Messe ni communion…C’est le cas de dire que l’on doit être privé d’un bienfait pour l’apprécier à sa juste valeur.

Toutes réconfortées, nous continuons le chemin du retour. Dorénavant, toutes les journées se ressemblent: on marche, on se repose, on marche encore et…on devient de plus en plus fatigué…Mais la crainte des bombardements n’importune plus, ce qui est un fait appréciable.

En quittant Daussoix dont nous gardons un souvenir reconnaissant, nous prenons un chemin de campagne qui mène à Yves-Gomezée. La chaleur accable, les pieds font mal, il faut se reposer souvent, mais “Sursum corda…Haut les coeurs”.

A Saint-Aubain, un soldat allemand photographie notre groupe (à notre insu évidemment). Il tâche de faire comprendre qu’il enverra la photo à une religeuse de sa famille, quelque part en Allemagne…

Florennes. Toute la ville est occupée par les soldats. Quel sentiment étrange de se trouver au milieu des ennemis…Nous longeons la belle route de Florennes. A Mettet, elle paraît bien longue, bien encombrante, à cause de la suite ininterrompue des camions et des motos. Il est 5h. et nous pressons le pas afin d’arriver à un village ou hameau où nous pourrons passer la nuit. Enfin, à notre droite surgit Biesmerée…Notre bon Ange que nous avons supplié de nous trouver un logis nous exauce merveilleusement. Les habitants sont très charitables: afin de nous loger convenablement, on nous accueille dans 3 maisons différentes. Nous y passons une nuit très calme et très reposante. Que le bon Dieu rende au centuple à ces braves gens leur acte de générosité.

21 MAI: mardi

Un chaleureux merci aux foyers hospitaliers et la petite caravane se remet en route. Mais dès le matin, le bruit sourd du canon tonne. Il semble indiquer la direction de Namur…

Au loin, devant nous se dessine la majestueuse Abbaye de Maredsous, les flèches de ces deux beaux clochers pointent dans l’azur du ciel clair et serein…Tout autour de nous, le panorama est splendide.

Le premier village que nous rencontrons est Furneau. Nous y sommes reçues très aimablement par la cousine de Mr. Et Mlles. Féraille. Une bonne tasse de café rend un peu d’énergie, car, quoique nous n’ayons marché qu’une heure à peine, la fatigue pèse déjà. Ici, on nous dit que les Forts de Namur résistent toujours, c’est ce qui explique les coups de canon.

Arrivées à Denée, nous cherchons en vain à nous procurer de la nourriture. Heureusement, la divine Providence qui veille toujours intervient encore d’une manière admirable.

La nouvelle des Forts de Namur a, comme bien l’on pense, jeté la consternation parmi nous. Est-ce bien prudent de regagner Sclayn? Nos guides trouvent bon de traverser la Meuse à Yvoir, de peur qu’on ne nous laisse pas passer à Namur. Dans ce but, nous suivons le cours de la Molignée. Il y aurait lieu de faire ici une description poëtique des sites charmants que traverse ce cours d’eau, mais la place n’en est pas dans ce modeste résumé.

Il est 11h30 lorsque nous atteignons Denée-Maredsous. Une habitation aux portes larges ouvertes semble nous lancer une invitation. Nous y entrons. Aussitôt, Mme Dive, dont le dévouement et la sollicitude pour les Soeurs est de tous les instants, prépare un frugal repas avec l’aide d’une Soeur. Pendant ce temps, Mère Godelieve et 2 Soeurs se rendent à l’abbaye de Maredsous. Les grands bâtiments sont déserts, les vitres brisées, les portes à part celle de l’église sont ouvertes…Un calme et un silence inquiétants y règnent. Tout à coup une fenêtre s’ouvre à l’étage…Dans l’embrasure apparaît une silhouette de moine et une voix crie: “Hola!” “Les Pères ne sont-ils pas ici?” interroge Ma Mère. “Non, je suis seul ici et je viens moi-même de …” Il a l’air étrange, ce moine à l’accent allemand! Coiffé de son chapeau, le cou entouré d’une écharpe gris-bleu. Nos soeurs ne se sentent pas fort à l’aise. La plus jeune surtout se sent prise d’une terrible “frousse”, et tirant notre Mère par la manche :”partons vite” dit-elle. C’est alors une fuite précipitée à travers les allées ombrageuses du Monastère… Quel soulagement de se retrouver auprès des autres. Tous s’intéressent à cette singulière rencontre du soi-disant Père Pierre (c’est ainsi qu’il s’est nommé) et on ne manque pas de se moquer un peu d’une peur, pourtant assez légitime…

Après un dîner sur l’herbe et un lavement des pieds dans les eaux de la Molignée, nous partons pour Sosoye. De là, nouvelle étape jusqu’à Falaën, où un moment de repos devient nécessaire, car la température ressemble un peu à celle…de la zone torride. Cependant, rien à boire, c’est le moment de s’unir à Jésus souffrant de soif sur la croix…

Le parcours se fait alors au milieu d’une belle campagne pittoresque que le Créateur a gratifié de ses dons les plus merveilleux, par Haut-le-Wastia et Warnant. Cette dernière localité héberge beaucoup de soldats, de même que Anhée. C’est ici que nous comptons passer la Meuse. Un pont provisoire y est jeté, qu’on se représente une longue plate-forme en fer que supportent des barquettes en zinc…Mais les autos allemandes y passent sans arrêt. Nous attendons le libre passage, et cela pendant 2 longues heures…Entretemps le soir tombe: il est 9h. Un soldat nous conseille alors de loger à Anhée et s’offre à nous fournir un logement, ce que nous acceptons. Il nous conduit dans un grand hôtel où 5 chambres sont mises à notre disposition. Aussitôt, 3 autres soldats se mettent en devoir de nous servir, apportent de l’eau, des couvertures, etc…Mais la nuit n’est pas calme du tout, les Anglais viennent bombarder Anhée et visent le pont…Nous avons encore eu bien peur cette nuit-là.

22 MAI: mercredi

Le soleil commence à peine à jeter ses premiers rayons, que nous voilà au pont, dans l’espoir de passer. Projet inutile…toujours des autos…Enfin, après un exercice de patience d’environ 1h., nous foulons le sol d’Yvoir. Nous voici en pays connu, le long de la Meuse…Bientôt, nous serons chez nous! Quel bonheur!…Cette pensée nous donne un nouvel élan et nous traversons joyeusement le pays de Godinne, quoique la vue des ruines du Sanatorium du Mont produit en nous une profonde pitié.

Jusqu’à Lustin, le paysage est vraiment féerique. La route domine la vallée du fleuve, à gauche, tandis que la droite est bordée de forêts magnifiques. Malgré la fatigue excessive, nous nous plaisons à contempler les oeuvres de l’Artiste divin, et, instinctivement, monte de notre coeur ce vers de psaume, que depuis 11 jours nous n’avons plus le bonheur de réciter ensemble: “Benedicite omnia opera Domini Domino…Oeuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur, louez-Le, exaltez-Le à jamais”.

A midi, nous dînons à l’hôtel…Au moment de continuer le trajet, nous apprenons que le libre passage est défendu parce que le fort de Dave résiste toujours. Alors, prenant le parti le meilleur, nous nous installons dans un confortable hôtel, (propriétaires étant absents), et, après un petit nettoyage, ultra-nécessaire, nous nous mettons au lit…dormons depuis 2h. de l’après-midi jusqu’au lendemain à 4h30…

23 MAI : jeudi : Fête-Dieu

Cette belle fête liturgique passe pour ainsi dire inaperçue…Dans l’espoir d’arriver ce soir à Sclayn, nous nous mettons en route à 5h. du matin. Du côté de Dave, le canon tonne toujours. Aussi, nous abandonn ons la rive de la Meuse, remontons jusqu’au village de Lustin et prenons la direction de Maillen. Inutile de dire qu’une certaine inquiétude s’empare de nous à mesure que nous avançons…mais, confiance…

Soudain arrive au devant de nous, un officier allemand qui fait signe de ne pas continuer: le Fort de Maiseret n’est pas rendu. Après une halte dans une ferme d’un hameau de Courrière, nous traversons le bois du Grand-Pré, pour aboutir à la route qui conduit à Gesves, car forcés de rebrousser chemin, nos guides déconcertés ne trouvent d’autre solution que de gagner Gesves où nous attendrons le dénouement des circonstances…

Ici encore, la Providence s’est montrée admirable à notre égard. A peine sommes-nous arrivés au village, que nous rencontrons Mr. Le Curé du dit lieu. Notre Mère demande s’il ne pourrait pas nous procurer un logement convenable pour la nuit. Monsieur le Curé, sans autre préambule, dit qu’il prend toutes les Soeurs chez lui, et indique un autre logis pour nos compagnons d’exil.

L’accueil que nous recevons à la maison hospitalière, est très cordial. Le digne Pasteur s’intéresse beaucoup à notre voyage d’Avesnes. Il exprime son admiration de nous voir toutes les dix revenues en excellente santé, sans le moindre accident et conclut avec nous que le Bon Dieu a été infiniment libéral à notre égard. – Nous voyant si …sales, si brûlées du soleil, Mr. Le Curé trouve que c’est très heureux que l’emploi des miroirs est interdit au couvent. Sur quoi notre Mère renchérit en racontant qu’en chemin un cheval a pris le mors aux dents (ce qui est exact) en nous voyant…(probablement inexact). Comme si nous étions en temps de paix, où le rationnement est inconnu, Mademoiselle nous sert un copieux repas, après quoi, elle prépare de bons lits. Les 6 plus jeunes vont coucher chez Mr. Le Vicaire, dont la maison est inoccupée en ce moment.

24 MAI: Vendredi – Rentrée à Sclayn

De grand matin, Mr. Thomas prend son vélo, et s’en va inspecter les environs pour s’assurer de la possibilité de rentrer à Sclayn. Il revient vers 11h. nous annonçant que le Fort de Maizeret est rendu et que les soldats commencent à plier bagage, c’est pourquoi il serait prudent d’attendre l’après-midi avant de se mettre en route, afin d’éviter un trafic encombrant.

Enfin, à 1h. de l’après-midi, nous quittons Gesves non sans avoir remercié chaleureusement Mr. le Curé et Mademoiselle, ainsi que les chères Soeurs, qui, elles aussi ont été très bonnes pour nous. – (Une Soeur a dit très justement: Ah, Gesves, c’était le bouquet…).

A travers champs et bois nous arrivons au petit village de Haut-Bois, ensuite à Strud et enfin à Bonneville. Nous voici presque “chez nous”. Grande est notre joie lorsque nous apprenons que Mr. le Curé de Sclayn est déjà revenu. N’étant plus qu’à 30 minutes de la maison, nous nous sentons des ailes…

Quel bonheur de revoir notre cher clocher…A notre arrivée sur la place, plusieurs enfants nous témoignent leur joie de nous revoir, et en tout premier lieu, notre bon Mr. le Curé, cette joie est bien réciproque. Cela se comprend.

Le Couvent n’a d’autres dégâts que ceux causés par le sautage du pont. Que le Bon Dieu en soit loué…

Impossible de vous décrire la joie de nous retrouver dans notre cher petit Couvent…que nous n’attendions plus.

Cette journée qu’achève une ardente prière d’action de grâces est le terme heureux de cette excursion de 13 jours, pendant lesquels nous avons parcouru 240 km. et traversé 55 localités.

25 MAI: samedi

La joie du retour nous fait oublier la fatigue et la journée se passe très joyeusement à ramasser les débris de…175 carreaux cassés, et à les remplacer par des planches et des morceaux de carton… 

29 MAI: mercredi

Depuis lundi, nous attendons avec impatience nos chères Soeurs restées à Namur, car Mr. Féraille a fait des démarches dans le but de hâter leur retour. Aussi, à 7h. du soir, une auto de la Croix-Rouge les ramène. Quel bonheur de se revoir…Nous voici au complet…Nous apprenons avec plaisir que les Soeurs et les Demoiselles ont été très bonnes pour elles, et comment elles ont été préservées du danger.

4 JUIN: jeudi

Les Soeurs présentes à Sclayn en 1920

A 10h. de l’avant-midi, soudain, un formidable coup de sonnette nous arrache de notre recueillement…Qui peut bien sonner de la sorte?…C’est notre chère Très révérende Mère et Soeur Ignace, qui viennent voir si nous vivons encore…Très Réverende Mère pleure de joie en nous revoyant toutes aussi bien portantes…et nous l’imitons en apprenant que nos chères Soeurs de Flandre se portent à merveille, de même que toutes les familles des Soeurs dont on a des nouvelles. Ah mon Dieu, c’est trop de bonheur!

(Ces notes ont été écrites par Sr Marie-Alphonse en 1940 et reprises telles quelles, le 4 août 2014 – journée anniversaire du commencement de la guerre 1914-1918)

Depuis notre voyage “Avesnes aller-retour” bien des semaines ont fui. Mais se passe-t-il un jour que nous n’en reparlions? Certes, non. Les impressions personnelles de chacune donneraient lieu à de charmantes anecdotes…

Une soeur raconte: “Lorsque nous étions accroupies dans le fossé, je sentais qu’une de vous était assise sur ma jambe. J’avais mal…Et je criais : “Oh, ma jambe, ma jambe”, mais personne ne bougeait. Vous étiez tellement bien occupées à vous préparer à mourir qu’à mon cri, je ne recevais d’autre réponse que: “Mon Jésus, je Vous aime…”. Finalement, je me dis: “cela ne fait rien si je me casse la jambe, nous allons quand même mourir…”.

Une autre Soeur dit: “De toute ma vie, je n’ai dit autant d’oraisons jaculatoires que pendant ces jours-là” – “Alors, vous êtes en avance pour l’avenir” lui réplique-t-on. “Non, non, c’est en compensation de ce que je n’ai jamais assez dit autrefois”…

La plus jeune (Sr. Marie-Marguerite) fait un jour cette réflexion: “C’est bien dommage que je ne sois pas morte à Avesnes…je me sentais si contente de mourir, car j’étais bien préparée…Quant à notre chère Mère Godelieve, elle n’a jamais eu l’idée de mourir dans ce terrible fossé d’Avesnes…Elle nous dit avoir toujours conservé la certitude de sortir vivante de cette fournaise de feu. Quelle révélation a-t-elle donc eu, notre Mère?…C’est son secret que nos curieuses recherches ne parviennent pas à découvrir…

Et c’est ainsi que chacune de nous conservera des impressions inouliables de ces journées d’angoisse…

O Avesnes…oui, on se souviendra de tes… fossés!!!

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C’èst l’Iviêr ( Di Sclèyin)

Il a nîvé, èt on pout dîre qu’on a stî bin sièrvu !

Quand, au matin, dj’a vèyu ci blanke sipècheù-là dissus lès vôyes èt su lès sapins divant m’ tchambe, dj’a sèré mès-ouys èt dji m’a r’vèyu tot gamin.

C’èsteut d’abôrd à l’ novèl an ; i nîveut èt dj’aveu su l’ vôye tote blanke, mès pîds dins mès sabots, po-z-aler pwârter mès sowaîts à m’ pârin, à Bone, aus matantes èt aus mon.nonkes; tote one toûrnéye qwè ! I faleut comincî pa l’ pârin à Bone, ôtrumint èlè n’aureut nin stî continte èt vos l’aurîz bin sintu !

Dji m’a r’vèyu à sclûje. C’èst m’ papa què l’aveut faît ; èt dj’aveu couru èmon l’ mârchau po lès fèrayes ; dès bèlès fèrayes à d’méy rondes, avou dès traus po lès visser. Mi sclûje èsteut basse su pates mins solide. Faleut veùy à quéne vitèsse qu’on d’chindeut li rouwèle d’èmon l’ Tchausse-pîd ou li route dès chômeûrs.

 

On èsteut dès bindes avou dès sclûjes di totes lès sôrtes. Li djoû d’audjoûrdu, on n’ veut avaurci quausu pus qui dès « luges » d’au botique, avou dès platès fèrayes. Qui v’loz filer avou ça ? Nos alin.n´ dins lès d’chindéyes à plat vinte ou a deûs, onk su l’ôte. Ou trwès, quate siclûjes atèléyes l’one drî l’ôte èt on pirdeut trwès, quate toûrnants à tote vitèsse. On n’ veut pus, ça, nin vêci, todi.

Il èst vraî qu’on n’a pus dès nîves tos l’s-ans.  À l’intréye di nosse viyadje, intur li grand-route èt Moûse, i-gn-aveut on pré qu’on loumeut l’ grand-pré ; il aveut pus d’ cint mètes di costé. One anéye, il aveut brâmint ploû à l’âriére-saîson èt Moûse aveut bouté, jusqu’à v’nu lètchî l’ grand-route qu’èsteut saquants mètes pus wôt qui l’ pré. Adon, i s’a mètu à djaler mins divant  qui tote l’aîwe si r’ssatche, i-gn-aveut one bèle sipècheû d’ glace dissus l’ grand pré. Cite anéye-là, nos-avans co sôrti nos sclûjes. Mins ç’ côp-ci avou deûs bastons fèrés d’on solide picot d’ fiêr. Èt èvôye dissus l’ glace. Dès-ôtes avint faît dès gliswêres su l’ mitan dè pré qu’èst tot d’foncé come on grand plat.

Èt come li scole n’èsteut nin lon, lès gamins acourint tot timpe su l’ grand pré.    

    Quand c’èsteut l’eûre, li Maîsse Hubin vineut d’ner on ptit côp d’ chuflèt èt tote li binde coureut è scole. On r’passeut su l’ glace on p’tit côp après li scole. Mins l’ dimègne après l’ dîner, c’èsteut quausu li mitan dè viyadje qu’èsteut su l’ grand pré : lès gamins, lès crapôdes, dès djon.nes, dès vîs ; gn-aveut minme saquants patineûs. Ci n’a nin duré one samwin.ne mins on a yu l’ timps di s’ bin plaîre. I-gn-a co bin onk ou l’ôte qu’î a lèyî sès sabots, ûsés ou bîlés. Mins, di ç’ timps-là, on n’èsteut nin à ça près.

Asteûre, on faît dès « spôrts d’iviêr » dissus des « pistes » avou dès sclûjes corne dès gayoles, en payant bon-z-et tchêr. Au viyadje, n’a pus dès vôyes po-z-aler à sclûje. Èt lès-autos, don vos-ôtes ! I-gn-a co bin one pitite uréye (colline) ou l’ôte ; mins ça c’èst jusse bon po lès tot p’tits.

Po l’s-ôtes, i-gn-a lès spôrts d’iviêr èt i n’ faut pus couru lon, mins faut one boune boûsse.

Di nosse timps …

Texte de R. Fraiture  paru dans le journal Vers l’Avenir du 19 février 1985.

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Le départ des soeurs de La Vilette en 1969.

L’hommage de Sclayn aux soeurs Franciscaines
de le Villette.

L’annonce du départ de la petite communauté des Soeurs franciscaines de Manage qui depuis de nombreuses années se dépense sans compter à la clinique Sainte Barbe, a vivement ému la population de Sclayn.

 

Les six religieuses , les revérendes soeurs Marie-Bernard, supé-
rieure, Constance, Clément Marie, Elisa, Rose-Marie et Françoise-Romaine
vont rejoindre soit la maison-mère de Manage, soit les communautés de
La Roche-en-Ardenne, Farciennes, Namur et l’abbaye d’Aulne.

Cependant, la clinique de Sclayn continuera a fonctionner avec du personnel laïc et sous la direction des mutualités chrétiennes, le personnel Médical restant en place sous la direction du docteur Pirson chirurgien en chef.
A l’occasion du départ imminent de la communauté, une cérémonie d’hommage a été mise sur pied.

Dimanche matin, le 28 décembre 1969 , la messe a été célébrée par M. l’Abbé Materne, curé de Sclayn, M. l’Abbé Even, vicaire, M. l’Abbé Vleminck, aumonier de l’Institut Saint Lambert de Bonneville, Dom Gaspariio, aumonier italien
Dom Capellan, aumonier espagnole et l’Abbé Badot, aumonier de la clini-
que Sainte Barbe.

Le sermon de circonstance a été prononcé par M. l’Abbé Materne.
A l’issue de la grand’messe, s’est tenue en la maison des Jeunes une séance académique.
Sur la scène ont pris place les religieuses de la Villette ainsi que Soeur Pierre, les personnalités déjà citées M.Lhoist administrateur de la société du même nom,     M. Berghmans directeur des Dolomies
de Marche-les-Dames, à Namèche, M. Cabus bourgmestre de Sclayn, M. Néve de
Mevergnies, directeur des usines Dumont.

M. l’abbé Materne prononça quelques mots pour remercier Soeur
Pierre, qui assura la direction de l’école libre et qui a quitté
Sclayn aux dernières grandes vacances.

Une statue de le Vierge lui a été remise. La chorale Saint Maurice qui s’était déjà manifestée au cours de la messe par des interprétations de valeur, a offert à l’assistance des chants de circonstance.

Puis, des enfants de l’école libre de La Vilette ont présenté un jeu de Noël.
Mr Cabus, bourgmestre, a rendu un vif hommage aux Soeurs de La Vilette, rappelant l’installation de la clinique de Sclayn, en 1933, et le souvenir de certaines religieuses aux silhouettes caractéristiques.

 

Les aumoniers italiens et espagnols ont remercié ensuite les religieuses au nom des communautés  étrangères de Sclayn, qui ont toujours trouvé auprès d’elles, une aide efficace et désintéressée.
Mr Lhoist s’est associé à ces témoignages de gratitude . Il a rappelé qu’en 1933, la clinique était un dispensaire, et est devenue un hopital en 1945.

L’ASBL  » Santé et prévoyance », a-t-il ajouté, aura la charge de continuer l’oeuvre hospitalière de la Vilette.
Les religieuses, émues, ont encore reçu d’autres marques de reconnaissance de la part de ceux qu’elles aident depuis un quart de siècle et qui les voient partir avec de vifs regrets.

Pour voir toutes les photos de la cérémonie, cliquer ici.

Cet article a été rédigé sur base des publications des journaux Vie Mosane et Vers l’Avenir.

 

 

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La SAINT THOMAS, folklore sclaynois .

La Saint Thomas – Folklore Sclaynois.

 Saint Thomas d’Aquin , comme chacun le sait est le patron des philosophes, des professeurs, des instituteurs.

Aussi le 7 mars, jour du dit Saint Thomas, était-il jour de fête chez les écoliers de Sclayn, qui voyaient l’occasion de fêter leur maître et cela, dans un but de reconnaissance et  peut être aussi pour se faire bien voir…. On s’y préparait quinze jours avant la fête attendue avec impatience.

Les Grands, pendant les recréations se réunissaient dans un coin de la cour et tenaient de longs conciliabules dont les petits  étaient soigneusement exclus: On choisissait d’abord des collecteurs; car il fallait  faire un cadeau à l’ instituteur, et, comme les bourses n’étaient pas fournies, le village tout entier collaborait à ce cadeau. Ensuite on choisissait celui qui devait faire le discours de circonstance. Ce discours était composé par une personne instruite de la localité, et remis au lecteur quelques jours avant la circonstance, pour qu’il puisse l’apprendre par coeur. Ensuite on chargeait deux élèves d’interroger adroitement le maître ou un des siens afin de  connaître ses goûts et ses désirs concernant le cadeau.

Et si la collecte n’était pas en rapport avec les prétentions de l’intéressé,  on prenait sur soi le choix du cadeau, qui consistait souvent en une pipe, un fauteuil ou une paire de vases, ou parfois deux objets si les Sclaynois avaient été généreux.

Deux jours avant la fête, tous les élèves étaient avertis de ce qui allait se passer afin de prévenir les parents des élèves pour que ceux-ci puissent s’habiller comme les dimanches et apporter de vieilles gazettes pour fabriquer des coqs qui étaient confectionnes sous l’oeil fraternel et souriant du futur héros, pendant les recréations et déposes dans le seau à charbon et la caisse aux bois, au préalable, débarrassés de leur contenu.

 

Voila les préparatifs terminés, et le jour de la fête est enfin arrivé. C’est le 7 mars après-midi et on voit défiler par les rues et les ruelles du village tous les gamins endimanchés et portant au lieu de leur touche et de leur ardoise, qui le fauteuil, ou les vases, un bouquet plus ou moins maigre: plutôt maigre car on est en hiver; qui, un grand coq en papier gris et enfin un homme en paille- emmanché sur un bois de brosse.

Une heure sonne, et  tout le monde est a sa place silencieux Plus que d’habitude, comme dans l’attente d’un grave évènement. Le maître, l’air indifférent, monte en chaire, dit la prière et va commencer sa leçon( comme s’il n’était pas au courant de ce qui va se passer). En ce moment le premier de la classe se détache de son banc, et poliment, mais combien ému, demande au maître de rentrer chez lui, et d’attendre que l’on vienne l’y chercher .

Celui-ci obéit débonnairement. Aussitôt après son départ on déplace les bancs, de manière a laisser un grand espace vide: là,  on range tous les petits coqs a la queue leu leu: le grand au milieu, l’homme de paille et les cadeaux étaient mis a part. Cela fait, une délegation  d’élèves va chercher l’instituteur en compagnie de toute sa famille.
Des bravos éclatent et des « Vive l’Instituteur «  retentissent dans
la salle. Mais voici que s’avancent le complimenteur et son souffleur.

Un silence religieux succède aussitôt au tapage de tantôt.
Le discours se dit tant bien que mal car l’émotion a fait perdre la mémoire, et c’est le souffleur qui bien souvent a toute la besogne. La remise des cadeaux avait lieu ensuite.

L’instituteur remerciait les élèves et  remerciait la commune, qui avait bien voulu s’associer a cette belle fête; puis il  faisait une distribution de pommes, remettait une orange à chacun, et naturellement  donnait congé aux élèves.

La coutume, transmise de génération en génération, voulait qu’après  le départ du maître et après avoir mangé pommes et oranges, le premier de la classe mettait le feu au grand coq qui le communiquait aux petits et une fois ceux-ci brûlés, de leurs cendres on se noircissait la figure et les mains « .

 » Ensuite les élèves ainsi barbouillés mettaient le feu à l’homme de paille et faisaient le tour du village en criant :   » Vive noss maisse « 

D’après * CH. TOMBELLE, La Saint Thomas-Folklore Sclaynois, Le Guetteur
Wallon, N°3 du 25 avril I925,pp•51-52.

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Le Docteur Parent ( 1905-1943)

Joseph Auguste Athanase PARENT, est né à Sclayn le 22 janvier 1905.
Il est le fils unique d’un instituteur: Athanase JOSEPH  et de Marie Alphonsine Aline Charlotte PAINSMAYE.

Après de brillantes études de médecine, il s’installa comme médecin-traitant à la sortie du village.             Il faisait également office de dentiste et  collaborait régulièrement avec la clinique Sainte Barbe de la Vilette, gérée par les Soeurs de la charité.

Rappelé des le premier jour de  la  mobilisation, en mai 1940,  il fut  affecté  dans  une  unité sanitaire  près de Bruxelles, où  il  prodigua des soins aux nombreux soldats malades qui y arrivaient journellement .

Le 10 mai, il fut chargé, par le commandement supérieur, de convoyer, tout en les soignant, les grands blessés des lignes aux arrières. Ceux-ci, constamment bombardés, exigeaient un cadre brave et des médecins courageux. Le lieutenant Parent fut de ceux-là.

Le Docteur Parent présida  le Comite d’Aide aux Prisonniers de guerre de Sclayn.

« Nom de Dieu, que c’est dur de crever « , tels furent les derniers mots de ce  fils d’une famille très chrétienne, lorsqu’il fut assassiné, probablement par des rexistesà son domicile de Sclayn, à l’age de 38 ans ,  le 9 octobre 1943 à zéro heure et demi.  Ecouter ici le témoignage précis et  poignant de Maurice Delisée, qui l’a vu mourir et l’a accompagné dans ses derniers moments .

Le 12 octobre 1943, toute la population de Sclayn s’était rassemblée devant l’église Saint Maurice pour lui rendre un dernier hommage .

Ses compagnons de la clandestinité le portèrent jusqu’à sa dernière demeure exprimant tous une profonde émotion et un recueillement digne de celui qui les quittait.

C’est l’ instituteur du village, Monsieur Charles Rigot, également porte-parole  du Comité  d’Aide  aux  Prisonniers  qui prononca l’éloge funèbre , au nom des anciens Combattants .

On ignore le motif pour lequel son nom ne figura pas sur le monument aux morts, mais en souvenir de sa mémoire, on baptisa la rue où il habitait , de son nom.

Un hommage posthume lui fut rendu le  21 juillet 1947. Lire ici, le discours prononcé par Monsieur Jules Laboureur, responsable des prisonniers de guerre de Sclayn.

Le docteur Parent est inhumé au cimetière de Sclayn .

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Gaston François , le sculpteur

Gaston FRANCOIS est né à Thon le 1  juin 1886.
Il est le fils de François FRANCOIS et de Rosalie DELOGE.
Marié à  Lucie Lorence GRAMMONT (18/10/1891- 29/08/1988) à Thon, le 19/05/1920, il aura deux filles: Renée Florence Rosalie Ghislaine FRANCOIS (régente technique), célibataire, née à Thon le 18/03/1921 à Sclayn et Marie José FRANCOIS (régente technique) célibataire, née à Thon le 02/03/1924 .

La famille François s’établira dans une maison située , au n° 182 de la rue Docteur Parent, à Sclayn, à coté de chez Hervé Timsonnet, le cantonnier du village.

Tout comme son père, Gaston était tailleur de pierre . Il était aussi membre de la chorale Saint Maurice de Sclayn.

A la fin de la première guerre mondiale, plusieurs communes de la vallée mosane, entre Namur et Andenne, lui commandent la réalisation de monuments aux morts: Lives sur Meuse, Samson, Sclayn et Andenne . En ce qui concerne le monument de Sclayn, c’est le 9 mars 1919 que le conseil communal , sous la présidence du Bourgmestre Tonglet ,  décide du texte à graver sur l’édifice.

En 1920, Gaston FRANCOIS sculpte le monument du cimetière des Fusillés à Andenne sur une conception de l’architecte René GARANT. Leurs deux noms et fonctions peuvent encore se lire au bas de la partie centrale. Ce monument fut officiellement inauguré en présence des autorités et des familles le 21 août 1920. Le motif de la dalle représente l’ange de la Paix apportant aux innocentes victimes la palme du Martyr.

Brillant artisan,  Gaston FRANCOIS  participe notamment à l’exposition régionale d’art ouvrier à l’occasion des fêtes pour le centenaire , à Andenne, en 1930. Il expose à l’hôtel de ville d’Andenne 3 œuvres de calcaire ( un christ, une garniture de cheminée et deux vases) .

Il est renommé pour la délicatesse de ses sculptures .

Il réalisera également un autoportrait, une sculpture de buste, qui sera déposé sur sa propre tombe, dans le petit cimetière de Thon.

Il est décédé à Sclayn le 23 juillet 1964.
Son épouse Lucie Lorence Grammont décédera 24 ans plus tard, le 29 aout 1988. Ses deux filles, qui restèrent célibataires, étaient connues dans le village sous le patronyme de  » filles François ». Renée Florence , sa fille ainée , est morte à Sclayn le 15 mai 1997 et la cadette, Marie José, décédéra le 28 avril 2014 à Namur .


Cet article à été rédigé sur base d’informations fournies par Pascal Monjoie, Jean Sacré et Marie-Claude Van Winnendaele , que nous remercions.

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Auguste Dock – Gadisseur : le « Grand Facteur ».

dock-noir-et-blancNé le 11 décembre 1928, à Waret l’évèque, dans une famille de condition modeste , Auguste Dock-Gadisseur s’engage vers la fin de la guerre, à la Poste , sous la coupe bienveillante d’un certain Jean Malvaux dont il devient rapidement un disciple.
Comme facteur, il arpentera les rues de Bierwart, Namêche, Namur, Burdinne, Couthuin puis Sclayn en 1968.

Derrière les boîtes aux lettres, Auguste voit toujours et avant tout des gens, jeunes et vieux, bien portants ou malades, riches ou pauvres, auto ou allochtones, … à qui il s’empresse de rendre service de manières variées : vente de timbres, opérations financières, simple conseil, achats de médicaments, petites emplettes, petit dépannages, ou tout simplement, une parole sympathique, un encouragement, …

C’est à la Poste qu’il rencontre Paula Lepage, qu’il épouse boite-aux-lettres-be24rapidement et avec laquelle ils auront trois enfants : Jeanine, Jean-Paul, Christiane.
Tout à tour, Grand Guss, le Grand Dock ou Grand Facteur, il est apprécié de tous.

Sa tenue soignée et toujours complète, guêtres de cuir comprises, associée à un vélo unique au monde, fait de lui un personnage pittoresque à tel point que chaque année l’instituteur du village se régale à la lecture des rédactions des petites têtes blondes sur le thème « décrivez un personnage typique du village »…

En autodidacte, le Grand Dock apprend le métier cordonnier-de-romansde cordonnier, allant de temps à autre demander conseil à une famille de grossiste en cuir derrière la gare de Namur. Il prend soin d’entretenir et réparer les chaussures de la famille, des proches, puis rapidement des amis et connaissances .

Le club de football de Sclayn lui confie la réparation des ballons de cuir. Et puis viennent les coureurs cyclistes pour la réparation des boyaux. Ingénieux bricoleur, il a en effet confectionné un outil particulièrement adapté et performant, permettant de découdre le boyau sans abimer la chambre à air.

Amateur de football, il pratique à Bierwart, Namêche et enfin 14947587_10210685271545450_3657569188434597053_nSclayn, où , pendant de longues années, il fit partie du comité et officia comme juge de ligne, avec la rigueur et l’impartialité voulues. Passionné par l‘homéopathie, il prodigue aussi aussi des soins aux joueurs qui se blessent .

Soucieux de parfaire ses connaissances, il prend des cours de néerlandais. Il participe aussi aux activités de la Protection Civile où il fait montre de beaucoup d’habileté.
Jardinier amateur, il cultive le potager familial et le verger dans sa maison située aux abords de la cité Tonglet.

Sa sobriété est légendaire. Dans les buvettes, on le feu-vert895surnomme Monsieur Cécémel.                             Ce trait de caractère est mis à profit par le CCSL, cercle paroissial culture et loisirs , qui le désigne comme responsable de la réserve de boissons lors de grandes manifestations. A toute heure de jour et de la nuit, on le trouve toujours frais et dispos.
Bref, une vie de services sous diverses formes, jamais intéressé par l’argent. Ses enfants hériteront de son sens de l’épargne, de l’économie et de l’écologie.

Il part à la retraite en 1985. Naissent alors ses 2 petits enfants: Julie et Vincent , puis, en 2015,  Virgile, son arrière petit fils.

patro160Ce n’est donc un hasard si ses enfants ont chacun des affinités avec les métiers  sociaux et que ceux-ci s’investissent le Patro Notre Dame , l’équipe paroissiale, le catéchisme et d’autres activités  rassembleuses…
Il  décède le  06 novembre 2016. ( voir ici l’avis de décès)


Cet article est largement inspiré du texte lu par son fils Jean-Paul, lors des funérailles.

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Emile Evraud, le délégué de mutuelle devenu Bourgmestre .

emile-evraudNé à Namèche en 1886, il fût, au sortir de l’école primaire de son village natal, tenté par les rudes chantiers d’une carrière de pierre. Après un apprentissage comme manoeuvre, il prit les ciseaux et la boucharde , et sous la surveillance complaisante de ses patrons, il fît l’apprentissage de la taille de la pierre, tout en fréquentant l’école secondaire jusqu’à l’âge de 20 ans.

Parfait tailleur, il devint un précieux moniteur pour les jeunes apprentis. Embauché à la carrière de l’état dès sa création, il y resta jusqu’à sa pension en 1951.

Devenu sclaynois par le mariage, il avait 34 ans lorsqu’il s’intéressa à la chose publique.

A partir de 1918, et durant 40 ans, il fut délégué de mutuellem16-medaille-medal-medaglia-decoration-croix-civique-1ere

Il rendait de nombreux services à la population qu’il voulait aider par ses démarches. En reconnaissance, il reçut par arrête royal du 21juillet 1951, la décoration spéciale de première classe en faveur des promoteurs et administrateurs d’associations mutualistes .

Il entra au conseil communal de Sclayn en 1921 et fut réélu en 1926 . Il ne sollicita aucun suffrage en 1932, mais rentra au conseil en 1939 (avec Mrs Guilmain , bourgmestre; Tihon , échevin; Duchateau, Thomas, Davin, Jules Delory , Nève de Mévergnies . Mr Cabut était secrétaire)

Comité de secours aux prisonniersMis dans l’impossibilité de siéger sous l’occupant, il ne resta cependant pas inactif car il fut des comités de secours aux prisonniers et aux éprouvés durant la grande tourmente.

A la libération, il continua son mandat , mais, pour des raisons personnelles,  ne se présentât pas aux élections de 1946.       Réélu en 1952, il devint échevin le 5 janvier 1953, ayant en charge l’instruction publique.

En 1957, lorsqu’il fallu pourvoir un nouveau Bourgmestre, au décès de Jean Lombet,  le Roi le nomme le 27 mars. C’est d’ailleurs Emile Evraud qui lut le discours de condoléances de son prédécesseur .

En mars 1957, le Bourgmestre Emile Evraud était entouré des échevins Jules Pierre et Raymond Martin , ainsi que des conseillers communaux : Désiré Feraille, Gustave Guisset, Florent Suys et Jean Beghin. Pour la première fois: une femme siégeait au conseil :  Augusta Thomas, fille de Auguste Thomas   et épouse de Camille Dive .         Le secrétaire communal était Auguste Libois .

C’est sous son mayorat que fut achetée puis modernisée de la maison communale.college-59-evraud-detailL’extension des égouts et la construction de nouveaux locaux scolaires furent décidés .

Il lutta, sans succès, pour la restauration complète de l’Eglise mais, faute de subsides, seuls les orgues furent réparés .                      C’est également à cette époque que furent électrifiées les cloches .

Dès la constitution de l’Oeuvre scolaire en 1948, il en devint le président.

En 1963, gagné par la maladie , il du abandonner définitivement les charges de la commune et démissionna le 29 mars . Il décédera quelques temps plus tard. ( lire ici le discours prononcé à l’occasion de son enterrement )

C’est Jules Cabus , qui le remplacera comme bourgmestre trois mois plus tard, le 25 juin 1963.


Merci à Marcel Simon qui nous a transmis documents et souvenirs pour rédiger cette biographie.


 

 

 

 

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