Le 10 mai 1940 , un vendredi : »Dans l’après midi , sur réquisition , ce fut le départ à la gare de Sclaigneaux de toute la jeunesse. Groupe dénommé C.R.A.B soit Centre de Recrutement de l’Armée Belge. Ces jeunes avaient 16 ans et plus.
Le lieu à rejoindre était Quiévrain. Rien n’y était organisé ni prévu pour les recevoir. Après bien des tribulations à travers la Belgique, ce fut l’exode en France. La plupart se sont retrouvés à Toulouse où la capitulation belge nous surprit .
Bien des français nous ont injuriés; ils ne pouvaient savoir ce qui les attendait plus tard . Les jeunes gens de 18 ans furent réquisitionnés et embarqués en train,ramenés sur la Seine pour effectuer des travaux pour l’armée française en débandade, et de nouveau, ce fut l’exode à pied ; dans les bombardements, sans nourriture et bien souvent ne sachant pas où on se trouvait . Camille Delforge devait décéder à Bagnères, victime d’un accident de travail. «
Le 11 MAI 1940: c’était un samedi :
» A 9 heures du soir, eut lieu le sautage du pont .
La plupart des habitants résidant dans la zone dangereuse n’avaient pas été prévenus, contrairement à ce qui avait été annoncé précédemment par les autorités militaires .
Plusieurs maisons furent partiellement détruites, l’église et une trentaine d’autres habitations endommagées plus ou moins gravement. »
Le 12 MAI 1940, c’était un dimanche : « le sautage du pont a eu pour conséquence de semer la panique .
Pendant la nuit de samedi à dimanche, la plupart des habitants prirent la fuite, abandonnant leurs biens, pour se mettre à l’abri du danger et ne se souciant nullement de leurs concitoyens obligés de rester dans la localité .
Pendant toute la matinée, ce fut un spectacle réellement écœurant de voir le cortège des évacués voguant vers l’inconnu avec des moyens de fortune: charrettes à bras, brouettes, voiture d’enfants.
Il est bien regrettable qu’en ces moments tragiques, aucune voix ne se soit élevée pour ramener le calme dans notre population.
L’après midi et la soirée, plusieurs magasins abandonnés par leurs propriétaires furent pillés par des soldats battant en retraite et par des civils: DELHAIZE FRERES, VEUVE COURTOIS, OCTAVE OGER, EMILE BOULANGER, PRUDENT SIMON, MAURICE HAZEE ».
Le 13 MAI 1940, tombait un lundi : « La journée fut très calme. Les personnes restées dans le village échangeaient leurs impressions, commentant avec mépris la fuite des autorités civiles et religieuses, ainsi que la garde civile territoriale.
Il restait à Sclayn 84 ménages avec 281 habitants.
Tous envisageaient les jours à venir avec anxiété, négociants, bouchers, boulangers, pharmacien, docteur étant partis. Qu’allions nous devenir ? »
Le mardi 14 MAI 1940:
« Le village fut l’objet de bombardements !
» Averties par quelques coups de cloche, vers 9 heures du matin, plusieurs personnes se réunirent sur la place pour prendre des mesures afin que les stocks restant dans les magasins ne tombent pas aux mains des pillards et des rôdeurs de nuit.
La porte de la boulangerie ALLARD ayant été forcée, et plusieurs sacs de farine étant disparus, on décida de distribuer la farine restante à raison de 5 kgs par personne, en stipulant que le payement devait se faire dès le retour du propriétaire.
L’après midi, MM COLLET et DINOT, qui avaient la garde du magasin de la CAV ( photo) , réunirent la population dans la cour de l’école pour lui annoncer que les marchandises de ce magasin seraient distribuées le lendemain.
Vers 5 heures, alors que l’on prenait note des besoins de chaque ménage, quelques obus tombèrent sur le centre du village , détruisant les maisons de MM. RENE MATAGNE, ERNEST DOTHEE, MARCEL LOMBET et endommageant plus ou moins gravement celles de Mme BRAIBANT, Mm ROD. FRANCOIS, HECTOR ALEXANDRE, PRUDENT SIMON, JOSEPH DEBATY, JULES DAVIN et JOSEPH SMAL.
Le bombardement recommença pendant la nuit , obligeant les habitants à se réfugier dans les caves .
Signalons , en passant, qu’aucune troupe allemande ne se trouvait dans le village: cette regrettable destruction fut certainement le résultat d’une erreur ».
Mercredi 15 MAI 1940: « distribution des marchandises de la C.A.V ( photo) et des viandes de la boucherie BEAUJEAN .
A 5 heures, afin d’éviter les excès de boissons, répartition des liqueurs restant au magasin OCTAVE OGER, à raison d’une bouteille par personne.
Ces trois distributions se firent dans les mêmes conditions que la vente de la boucherie ALLARD.
Vers 6 heures, un motocycliste allemand parut dans la localité .
Jeudi 16 MAI 1940: » Pendant la journée, continuation de la distribution des marchandises de la C.A.V.
A 5 heures, quatre soldats motocyclistes, venant de Bonneville, s’arrêtèrent près de la place du Baty .
Aidés par des civils belges et yougo-slaves, ils enfoncèrent la porte du magasin « SERVIR » et enlevèrent des cigarettes. Pendant la nuit, le reste du magasin fut pillé.
Ces mêmes soldats arrivèrent sur la grand place, brisèrent la vitrine de Mr GUILMAIN ( photo ) et s’approprièrent différents bijoux.
Ils allèrent ensuite réclamer de la bière chez r LUCIEN MOUREAUX, la bière étant provisoirement déposée chez Mlle MARIE GILLES, ils s’y rendirent, emportèrent avec eux trois casiers de bouteilles et reprirent le chemin de Bonneville ».
Vendredi 17 MAI : » La pharmacie Suars étant abandonnée, on prit les mesures pour procurer des médicaments à la population. Mlle Octavie TIMSONNET s’offrit pour soigner les malades de Sclayn et environs les hospitalisés de la clinique de la Vilette; elle était accompagnée dans ses déplacemlents par Mr Auguste VIVIER.
L’après midi, les archives et registres de l’état civil furent enlevés de la salle communalecelle ci étant endommagée par les obus et transportés chez Mr Fernand TIMSONNET. On enleva ensuite, pour éviter le pillage, la plaque » vins et liqueurs », se trouvant sur la porte de la maison Laurent Noël.
Vers 6 heures, un peloton de soldats arriva dans le village et s’arreta en face de l’école communale; ils entrèrent en conversation avec MM. WILLEM VAN DE VORST et OCTAVE DINOT et assurèrent à ceux-ci que les habitants restant dans la localité seraient respectés et qu’il ne serait fait aucun mal à la population.
Signalons ici que, les jours suivants, en maintes circonstances, que ce soit à l’arrivée de groupes isolés ou lorsqu’il s’agissait d’héberger des centaines de soldats avec officiers, M. WILLEM VAN DE VORST, qui parle couramment l’allemand, rendit de réels services à notre localité en qualité d’interprète.
Samedi 18 MAI 1940: » Dans l’après midi, deux officiers allemands s’arrêtèrent en face du café HENROTEAUX et , en l’absence du bourgmestre, sont reçus par Mr LEON HAVERLAND ET FERNAND TIMSONNET.
Ils sont très surpris d’apprendre que toutes les autorités ont abandonné leur poste et chargent MR HAVERLAND d’administrer la commune, le déclarant responsable de la population.
Ils font ensuite quelques recommandations quant au nettoyage des rues, rassemblements, heures de rentrée, etc .
Dimanche 19 MAI:
« Quelques évacués ont regagné leur foyer.
Mr le Curé , rentré dans le courant de la semaine, célèbre une messe basse ».
Lundi 20 MAI 1940:
« Mr Haverland, malgré ses 72 ans, s’occupe activement de l’administration de la commune, s’entoure de plusieurs collaborateurs et organise un corps de police.
On récupère les marchandises des magasins sinistrés et on distribue le lard de la boucherie BEAUJEAN à raison de 250 grammes par personne ».
Mardi 21 MAI 1940: « MM. HAVERLAND et TIMSONET, aidés par Mr COLETTE, Emile et Octave DINOT, s’occupent du ravitaillement de la population ; ils se rendent au moulin de Beez ( photo) , où ils pourront se procurer 10.000 kilos de farine avec un bon de la commune.
Nous recevons de suite 2.500 kilos, avec promesse de pouvoir prendre le restant, au fur et à mesure de la cuisson ».
Mercredi 22 MAI 1940:
» Le transport de la farine de Beez à Sclaigneaux eut lieu avec un chariot et quatre chevaux nous prêtés par le fermier LESUISSE de Vezin.; le passage de la Meuse se fit en barquette et la farine fut déposée à la maison communale. »
Jeudi 23 MAI 1940:
» Bombardement intense au début de la matinée dans la position fortifiée, les troupes allemandes attaquant le fort de Maizeret qui était encore occupé par l’armée belge, ainsi que les fortins de Samson.
Vendredi 24 MAI 1940:
« Aménagement d’un bateau-radeau pour le transport de la farine de Sclaigneaux à Sclayn.
La boulangerie communale fonctionne et nous distribuons du pain à raison de 500 grammes par personne au prix de un franc le kilo , les deux cuissons précédentes faites avec la farine de la boulangerie Allard ayant été distribuées gratuitement » .
Samedi 25 MAI 1940 :
« Réunion des hommes valides dans la cour de l’école communale pour répartir la besogne.
On commence le nettoyage des rues et on répare les fenêtres brisées.
NB: C’est aussi ce jour là, que Jean DELORY, sergent au 19° de ligne , est mort au combat, à l’âge de 21 ans .
Son nom figure sur le monument aux morts de la grand place ( photo) et infos ici .
Dimanche 26 MAI 1940 :
» Le calme semble revenu et de nombreux évacués sont rentrés »
Lundi 27 mai 1940 :
» Mrs HAVERLAND et TIMSONNET ont fait des démarches à Namur et nous annoncent que la ration de pain est fixée à 275 grammes par personne; dans la suite, cette ration sera réduite à 250 grammes » .
Mardi 28 MAI 1940:
» M. Colette organise une boucherie communale ; la viande est débitée au prix de revient » .
Annonce de la capitulation de l’armée belge, après 18 jours d’une campagne difficile menée contre l’envahisseur allemand. Le 28 mai, le roi LEOPOLD III acceptait une Capitulation sans conditions, début de quatre ans d’occupation du pays et d’une crise politique interne majeure.
Mercredi 29 mai 1940:
« Les hommes valides sont occupés à la réfection des toitures des maisons sinistrées; ce travail sera continué les jours suivants « .
A la séance du lundi 3 juin 1940: il est procédé à la nomination d’un Comité de Gestion Communale, en remplacement de l’ancien Conseil défaillant, et Composé des membres suivants:
LEON HAVERLAND , Bourgmestre ff.
FERNAND TIMSONNET
ALPHONSE COLETTE
EMILE DINOT
OCTAVE OGER
EMILE EVRAUD
AUGUSTE THOMAS
ARSENE LISSOIR , Curé
OCTAVE DINOT, secrétaire ff.
Voir ici le procès verbal de la délibération.
Mardi 4 juin 1940: » MM. HAVERLAND et TIMSONNET nous annoncent que la banque de la Société Générale leur a accordé un prêt de 20.000 francs ( remboursé peu après), pour liquider notre arriéré de farine et assurer le ravitaillement normal de la population.
Dans la suite, le comité prendra les mesures financières nécessaires pour assurer le service des avances-secours en faveur des nécessiteux et mettra tout en œuvre, pour atténuer, dans la mesure du possible, la détresse de la population pendant les jours pénibles que nous sommes amenés à traverser .
A l’heure actuelle, beaucoup d’évacués sont rentrés; les uns regrettant sincèrement leur départ, d’autres racontant les péripéties de leur voyage sur un ton de victime ou de héros, considérant ceux qui ne sont pas partis comme des êtres inconscients; d’autres enfin, dont les biens ont été dévastés ou pillés en rejettent la responsabilité sur les personnes qui sont restées à leur foyer , allant même jusqu’à suspecter d’honnêtes gens, en se figurant que l’on monterait la garde à tour de rôle devant leur maison abandonnée pendant toute leur absence !
En conclusion, nous souhaitons de tout cœur, à ceux que nous attendons encore, un heureux retour et que les ennuis que leur a causé l’évacuation ne soient pour eux qu’un mauvais souvenir .
» Extrait de « Sclayn, récit succint des évènements du 11 mai à juin 1940 » Editions Dinot
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Lien pour télécharger dans biblioteca andana les PV des conseils communaux de l’époque
Précieux retour en arrière ! La souffrance et le courage de nos ançêtres ne doit pas tomber dans l’oubli.
Merci surtout à tes ancêtres, les imprimeurs Dinot, de nous avoir laissé ces beaux témoignages !
J’ai très bien connu Octavie Timsonnet et Marie Gilles et bien d’autres personnes bien entendu, quand je suis arrivée à Sclayn, après mon mariage avec Jean Dive en 1952.
Je suis née dans la ferme du « Fond des Moulins » hameau de Vezin le 13 /02/1930, j’y ai vécu durant l’âge de 7 ans puis j’ai habité Namèche.
Un jour avec une amie au bord de Meuse à Namèche j’ai aperçu un jeune homme qui venant de Sclayn, faisait du kayak.
J’avais 17 ans. Cet homme c’était Jean Dive que j’ai épousé à 22 ans.
Pour en revenir à Sclayn : Octavie Timsonnet nous l’appelions « Guillemmet » gentil surnom.
Octavie prenait le train avec moi pour se rendre à Namur. Moi j’allais jusque Bruxelles où j’ai travaillé pendant 27 ans au Ministère des affaires étrangères.
Je vous raconterai d’autres anecdotes sur Sclayn via Benoit et Jean-Michel, mon neveu et mon fils.
J’ai énormément de souvenirs des fêtes de Sclayn, de la Chorale, du Théâtre avec Gérald Duchâteau.
Voilà déjà une petite histoire:
Lors d’une fête de Village dans les années 70, il, y avait une traditionnelle procession Sclayn vers La Vilette . Pour « déguiser » mon beau frère Pierrot (Pierre Dive) nous avons été chercher des habits de femmes chez »Tante Pauline » (Pauline DIVE)
Pauline, Clarisse, Auguste et Camille étaient 4 frères et soeurs.
Pierrot s’est retrouvé habillé en noir et donc en femme durant toute la procession. Un beau souvenir.
Jeanine Marneffe (épouse de Jean Dive). Témoignage du 14/06/2016
A bientôt
Quelle mémoire, Jeanine !
C’est très beau de garder des traces et, surtout de les transmettre, de la vie d’un village. Et principalement des personnes qui ont contribué à le maintenir debout.
Bravo